« L’avenir de l’homme est la femme », écrivait Aragon, « Sans elle il n’est qu’un blasphème, il n’est qu’un noyau sans le fruit ». Blasphème mis à part, les anciens Perses lui auraient certainement donné raison. Il y a environ mille cinq cents ans, leurs femmes n’avaient qu’une seule mission : produire des héritiers. On pourrait sans doute en dire autant de quantités d’autres régions du monde et j’aimerais trouver le temps de me pencher sur la question. En attendant, j’ai passé trois semaines à éplucher littérature et publications scientifiques sur le statut des Persanes, depuis le premier Empire perse jusqu’à la période contemporaine. En particulier, un traité de jurisprudence daté du début du VIIe siècle, juste avant l’arrivée de l’islam en Perse, et connu sous le nom de Madayan i Hazar Dadestan, ou Livre des 1 000 jugements. Il en ressort que les règles de mariages sont monstrueusement complexes, sauf sur un point, limpide pour le coup : pour les Perses, la femme n’était rien d’autre qu’un ventre dont il fallait se donner les moyens légaux d’exploiter au maximum les capacités de reproduction. L’avenir de l’homme, disions-nous…
Dans le détail, le Dadestan examine près de mille situations représentatives du droit – surtout en matière de mariage et de successions. Là-bas comme ailleurs, hommes et femmes ne se mariaient pas vraiment par amour, les femmes encore moins que les hommes. D’un point de vue légal, elles étaient subordonnées à la tutelle d’un homme, en langue perse un « salar » : leur père, ou s’il n’était plus de ce monde, leur frère, leur oncle, leur cousin, etc. Certes, si son tuteur ne l’avait pas mariée à 15 ans, une jeune fille pouvait décider d’elle-même de s’unir à un homme de son choix. Mais ce mariage-là, appelé « xwasrayen », ne donnait aucun devoir à l’homme, qu’il s’agisse d’assurer à la femme et au(x) enfant(s) le minimum vital, ou encore de leur céder une part d’héritage s’il passait de vie à trépas. Pire, si ce mariage venait à durer, la femme perdait la tutelle de son « salar », et n’était donc légalement… plus rien !
En dehors de ce cas particulier, un mariage – dit « padixshay » – avait normalement été arrangé aux 15 ans de la jeune fille, moyennant une dot en biens ou en espèces versée à elle ou à sa famille, ainsi que le gîte, les habits et le couvert pour elle et les enfants à naître, et également des droits dans la succession de l’époux. Mais là où les choses se compliquent, c’est qu’elle avait obligation de donner à son mari un garçon… y compris après son décès s’il n’y avait pas d’héritier !
Quand l'époux commande… même après sa mort
Une veuve n’ayant pas donné de garçon à son défunt mari était obligée par la loi de remplir un rôle d’intermédiaire dans sa succession (« ayogen »), en se remariant avec un homme dont le fils à naître serait légalement celui de l’époux décédé. De ce mariage « chagar », elle n’avait rien d’autre à attendre qu’un garçon, n’acquérant aucun droit sur la succession de l’époux. Mais la fille ou la sœur d’un défunt pouvait aussi devenir « ayogen », avec la même mission. Et dans la haute société, le mari devait avoir prévu une succession de substitution, ou « sturih », c’est-à-dire un ventre capable de lui donner un garçon si les héritiers nés de son vivant étaient morts avant lui. Une « sturih » souvent assurée par une parente de l’épouse. Vous suivez ?
Le leitmotiv, l’obsession, c’était bien sûr pour un homme d’avoir un garçon, le seul capable de transmettre le nom, le rang et les biens et de mener les rituels du mazdéisme (religion principale avant l’arrivée de l’islam), dont les femmes étaient écartées en raison de leurs menstruations (qui faisaient d’elle des êtres impurs). Et tout était prévu pour qu’aucun homme ne puisse manquer d’héritier : dans la loi, les contrats de mariage avaient en effet la possibilité d’être permanents ou temporaires, et le ventre d’une femme était ainsi susceptible de passer d’un homme à un autre. Une femme pouvait donc être liée par différentes formes d’union à un homme afin de donner un garçon à un parent défunt de sexe masculin (son père, son frère, etc.), puis à un autre pour assurer une succession par substitution, ensuite à son mari légitime, encore à un autre si son défunt époux n’avait pas eu d’héritier, etc. La femme, l’avenir de l’homme ? En fait de beaucoup d’hommes, imposés bien évidemment. Y compris le père ou le frère, la religion mazdéenne considérant l’inceste comme la plus valeureuse des unions. Être femme en Iran semble décidément bien compliqué, hier comme aujourd’hui…