Pourquoi les aliens ne sont-ils pas solubles dans la science ?

Emmanuel Monnier, le 27/11/2021

Je serai franc : lorsqu’un grand magazine d’actualités scientifiques m’a demandé cet été d’enquêter sur l’histoire des rapports entre la science et les extraterrestres, j’ai été un brin méfiant. Fallait-il encore servir aux lecteurs la vieille soupe des soucoupes volantes ? Allais-je m’embourber dans les marais putrides de l’affaire Roswell ? Comme beaucoup de journalistes, qui plus est de culture scientifique, j’ai mes préjugés sur le paranormal et tout ce qui concerne les petits hommes verts. Mais le contrat d’enquête était clair : il ne s’agissait pas de trancher la question sulfureuse de la présence, ou pas, d’aliens parmi nous, mais d’analyser les rapports pour le moins tumultueux que les scientifiques ont entretenus depuis près d’un siècle avec les ufologues de tous poils. Voilà un terrain prometteur pour qui se passionne pour l’histoire des sciences et de ses rapports avec le grand public.

Vu la popularité du thème, je comptais bien m’appuyer sur pléthore d’ouvrages savants, que j’aurais pu annoter sur les plages agathoises qui bordent mon bureau. Las, à ma grande surprise, les aliens semblent n’intéresser personne dans le monde de la recherche académique, même pour n’étudier que... leur étude. Hormis l’incontournable trublion Pierre Lagrange, chercheur associé à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), ou Florence Raulin-Cerceau, au Museum national d’histoire naturelle, spécialiste plus sage de l’histoire du programme Seti, ils sont très rares ceux qui ont osé risquer leur réputation et mouiller leur chemise sur ces terrains dénigrés. À peine deux thèses d’histoire y sont consacrées dans les vingt dernières années. Comme si la recherche n’avait rien à dire sur un sujet qui inspire le cinéma depuis des décennies, et la littérature depuis des siècles. Pourquoi ?

Disons-le sans détours, l’ovni est pour le scientifique un sacré bâton merdeux. Que faire lorsqu’une personne, ou un groupe de personnes, prétend avoir observé un objet non identifié dans le ciel – souvent nocturne ? Accepter le témoignage ? C’est faire fi de la méthode scientifique qui implique des protocoles standardisés et reproductibles. Le rejeter ? C’est reléguer ce champ d’études aux ufologues amateurs, dont on a beau jeu ensuite de critiquer… l’amateurisme.

La tentation est donc grande de refiler la patate brûlante à l’expertise du psychologue ou du psychiatre. Bref, pour paraphraser un vieil adage : quand le quidam prétend voir une nouvelle Lune, il est moins dangereux de débattre sur son doigt.

Pourtant, ces mêmes scientifiques n’ont plus d’état d’âme à admettre que des micro-organismes puissent exister loin de chez nous. C’est même l’argument qu’ils resservent chaque fois qu’ils ont besoin de crédits pour des missions d’exploration lointaine. Ils acceptent, du bout des lèvres, qu’on puisse capter les émissions radio de civilisations à des années-lumière de nous, via le programme Seti. Et leur envoient même parfois des messages codés. Mais que quelques membres de ces mêmes civilisations puissent s’être déjà déplacés jusqu’à nous reste un tabou, un impensé. Le Geipan (Groupe d’études et d’informations sur les phénomènes aérospatiaux non identifiés) lui-même, créé à l’origine au sein du Cnes pour expliquer l’inexplicable, refuse d’utiliser le terme d’ovni et considère que les extraterrestres ne font pas partie des hypothèses à prendre en compte dans son travail. La science veut donc bien envisager un temps relatif, des dimensions cachées, des particules présentes dans plusieurs lieux à la fois, mais n’arrive pas à étudier sérieusement l’hypothèse – vraie ou fausse – que d’autres formes d’intelligence aient pu voyager, sous quelque forme que ce soit, jusqu’à nous. Chercher à comprendre ce paradoxe est finalement bien plus intéressant que tenter de percer – une énième fois – les mystères survendus de la base militaire de Roswell.

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