La finance verte ? Tout le monde en parle. Les unes après les autres, toutes les banques prétendent s’y mettre et contribuer ainsi à sauver – au choix - le climat, la biodiversité, ou les deux à la fois. Greenwashing ? Sans doute. Mais ne jetons pas le bébé avec l’eau brune du bain. Un changement de discours peut précéder une vraie révolution. Certains slogans, à force d’être récités, finissent par devenir performatifs ! Espérons-le, car si la finance continue à investir chaque année des milliards de dollars dans l’extraction des énergies fossiles, au détriment de projets certes moins rentables à court terme mais plus respectueux de la planète, tous les accords de Paris ou d’ailleurs resteront de vains mots. Au-delà des bonnes volontés des uns et des autres, c’est bien elle qui, en définitive, possède le véritable pouvoir de changer le monde.
Cela suffisait pour que les Chemineurs aient envie d’aller gratter sous le vernis vert des nouveaux produits financiers, d’explorer ce long chemin semé d’embûches qui va des paroles généreuses aux actes efficaces, d’explorer un monde où l’on décrit à grands renforts de papiers glacés les efforts que l’on fait en faveur de la planète, mais où l’on est encore si démuni pour évaluer objectivement l’impact réel que ces belles actions peuvent avoir sur la nature.
Déjà, les grosses entreprises sont sommées de rendre des comptes. Nul doute que les dirigeants de la compagnie pétrolière Exxon garde un souvenir amer de l’assemblée générale du 26 mai 2021, au cours de laquelle le fonds activiste Engine n°1, qui exhortait l’entreprise à accélérer la transition vers des énergies plus propres, a imposé avec seulement 0,02 % des parts trois représentants au conseil de surveillance, fédérant dans sa fronde les grands investisseurs institutionnels de Wall Street. Un mois plus tôt, la Nouvelle-Zélande annonçait qu’elle contraindrait les banques à révéler l'impact de tous leurs investissements sur le changement climatique. On sent bien qu’un vent nouveau souffle sur l’univers impitoyable des investissements financiers.
Les experts que les Chemineurs sont allés interroger sont formels : l’accord de Paris sur le climat, en 2015, a bien été un tournant. Les banques centrales réalisent le risque d’effondrement systémique que font peser sur la finance mondiale les futures catastrophes naturelles favorisées par le réchauffement climatique ou la destruction des écosystèmes qui assurent – gratuitement – des fonctions aussi essentielles à l’économie (comme à la survie) que sont la pollinisation, la filtration de l’air ou de l’eau. Quelle est la valeur réelle de ces services qu’aucune entreprise n’a intégré jusque-là dans sa comptabilité ? Il va falloir commencer à se poser la question. Et comprendre qu’il vaut sans doute mieux dépenser un peu pour les préserver, qu’y consacrer – sans doute en vain - des sommes astronomiques pour les remplacer une fois que ces écosystèmes auront disparu.
La bonne nouvelle, c’est que le financier n’a pas – à long terme - plus intérêt que le citoyen de voir disparaître tant de richesses naturelles. Alors comment l’aider à faire les bons choix ? Quels outils lui donner pour orienter rationnellement ses investissements vers les projets qui ont un réel impact positif sur la nature ? Le sujet quitte la sphère financière pour rejoindre celle des sciences naturelles. Le comptable doit cheminer aux côté de l’expert en biodiversité pour trouver un langage commun, définir une « taxonomie » des activités que l’on peut objectivement qualifier de vertes ou de brunes, traquer les fausses couleurs qui se révèlent lorsqu’on élargit la focale à l’ensemble du cycle. Des agences de notation extra-financière en ont fait un terrain de jeu déjà très lucratif, tant il est vrai qu’à chaque ruée vers l’or, ce sont toujours les marchands de pelles qui s’enrichissent. Résultat ? Les géants américains rachètent tous ces experts de la data, capables de transformer d’ingrats bilans d’espèces en indices capables d’engendrer de mirifiques taux de marge à deux chiffres. Une course est lancée pour être le premier à savoir agréger des données environnementales objectives, fiables, standardisées, permettant de réelles comparaisons au sein d’un même secteur. Et pour une fois, l’Europe n’est peut-être pas si mal placée pour courir provisoirement en tête.
Utilisation des terres, fragmentation des milieux naturels, empiétement humain, dépôts aériens azotés, changement climatique, perturbation hydrologique, conversion de zones humides, eutrophisation de l’eau douce, usage des sols dans le bassin versant, écotoxicité, les sciences convoquées dans ces bilans écologico-financiers sont multiples. D’où la nécessité de croiser patiemment les expertises. Cela tombe bien, c’est justement ce que les Chemineurs aiment faire.